Mon acte de renais(sens) (1) | Le premier jour du reste de ma vie

1er avril 2017. Après 17 ans de salariat, je me retrouve pour la première fois, à presque 41 ans, chez moi, sans lendemain réellement planifié. Juste une idée, une envie : entreprendre dans le développement durable. La veille, je quittais l’entreprise qui m’a accompagné dans ma construction d’adulte pendant plus de quinze ans. J’y suis entré jeune ingénieur diplômé à 23 ans. Je revois le trajet retour en voiture depuis l’aéroport Charles de Gaulle, triste. Le trajet de mon bureau au parking chargé des deux cartons qui rassemblent les souvenirs de ma vie professionnelle. Les au revoir avec mes collègues proches. Le “circuit de départ” comme ils l’appellent, rampe de lancement vers la sortie. Prends de l’élan. Mon pot de départ, passé très vite, plein d’émotions. Ces derniers jours passés à préparer la sortie. Compliqué de tourner une page de plus de quinze ans. Mais finalement, assez fluide.

L’avant, mené au gré du courant

Sans se lancer dans une longue autobiographie sans intérêt, quelques points de repère dans mon passé. Mon parcours est jusque là “dans le flow”… Élève plutôt doué, je m’oriente sans trop y penser vers une classe prépa scientifique à Henri IV, j’entre à l’école Centrale de Lyon deux ans plus tard, sans plus d’idée sur mon futur métier. Quand j’en sors à 23 ans, je frappe à la porte de quelques entreprises, timidement, je ne sais pas le rôle que je veux occuper et ne comprends pas ce que fait un ingénieur quand il entre dans le monde du travail; ce sera une grande compagnie aérienne. J’ai alors découvert le monde passionnant du transport aérien, rencontré des personnes très chouettes, monté des projets complexes, traité de sujets intéressants. Je me suis aussi retrouvé face à des réunions sans fin, à des “steercopil” où chacun joue un rôle, à des intérêts politiques qui président aux décisions avant l’intérêt de la structure et l’intérêt général, à des projets assez inouïs où on passe des mois à décrire ce qu’on va faire, pour finalement ne pas le faire par manque de ressources. Je pourrais passer beaucoup de temps à me plonger dans cette expérience de la vie des grands groupes, mais ce n’est pas réellement le sujet ici. C’est juste un élément qui m’a amené à engager cette transition et à écrire ces lignes. Bref, j’avance dans cette carrière au sein d’un grand groupe, franchis les étapes, acquiers des compétences, des savoir-faire, deviens manager, responsable d’équipe, chef de projets, pars en expatriation, essaie de me donner une ambition. Mais tout cela est assez sec, aride; pendant plus de 15 ans, c’est comme si j’avançais un pied sur le frein. Voire les deux. Je garde l’impression de suivre le courant, sans vraiment parvenir à me relier à ma source, mon énergie. Même si les sujets m’intéressent, si la position sociale est très gratifiante, si l’ouverture sur les voyages est extrêmement attirante, c’est comme si je m’étais dédoublé. Ou plutôt, comme si j’avais laissé le gouvernail à une représentation sociale de Florent, celui qu’il faut être, cadre bien payé dans une grande entreprise prestigieuse, développe une ambition et vise les positions de cadres supérieurs ou dirigeants. Mais le dédoublement se ressent, et ma carrière n’avance pas aussi vite que d’autres, je me dévalorise doublement, donc, en me comparant aux autres et en me disant que je ne suis pas aligné avec ma source que je n’ai pas encore trouvée. C’est un peu la teneur du message proposé par Jean-Laurent Cassely dans son livre “la révolte des premiers de la classe”, sous titré, “métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines”. Je crois que c’est cette prise de conscience qui sera le vrai déclencheur de ma transition. Mais nous y reviendrons. Pour l’heure, ancrons nous dans ce 1er avril 2017 . Car il n’empêche que se retrouver à la maison avec ses deux cartons de souvenirs et toute la suite à construire, ça fait un peu peur. Mais de quoi parle-t-on ? Quelle est cette suite ?

11ème ligne, 13ème colonne.

Pour visualiser ce que représente ce 1er avril 2017, ce premier jour et aussi ce que représente le reste de ma vie, j’ai construit ce calendrier. Ci-dessous, c’est ma vie. Une case représente un mois. Admettons que la vie me soit bonne et que je meure à 92 ans. Honorable, j’ai arrêté de fumer il y a 8 ans, j’espère avoir récupéré des cases de vie. J’aurais donc vécu 1104 mois. 1104 cases donc.

Ce premier jour du reste de ma vie donc, il est là, 11ème ligne, 13ème colonne.

Je ne suis donc pas à la moitié ! Je suis même loin d’être à la moitié de ma vie professionnelle. En gardant cette hypothèse de retraite à 70 ans, il me reste 29 ans, soit 348 mois, pour construire cet après et le déployer. Alors garder quelques cases pour décélérer, s’ouvrir, apprendre et dessiner ce que sera cette suite, je me dis que ça vaut la peine.

Autre échelle. Plus que 50 000 heures… ou encore 50 000 heures ?

Pour poursuivre dans la même idée de relativisation.
Si on considère que l’on passe 45 ans de notre vie au travail, à raison de 8 heures par jour, on arrive à une estimation de 80 000 heures au travail. Un petit décompte m’a amené à la conclusion suivante. Au 1er avril 2017, il me restait 50 000 heures à effectuer. J’en avais passé 30 000 en tant que salarié.

Plusieurs enseignements me sont donc parvenu alors que je stressais quelque peu dans mon salon ce 1er avril 2017 en dessinant toutes ces cases :
1 — “C’est cool. Tu as sûrement bien fait de sauter le pas maintenant “
2 — “Tu peux te garder quelques cases de réflexion et construction pour bien bâtir ton futur, un futur qui te fasse envie et te porte pour les prochaines années. “
3 — “Et si j’essayais d’être aligné et d’arrêter le dédoublement ? “
4 — “Les cases restantes sont quand même bien vides … Et il y en a plein… Comment garder l’énergie et le cap ? ”

Comme une allumette

En ce premier jour du reste de ma vie, avec comme seul point de mire concret un déménagement de Paris à Toulouse dix jours plus tard, tout est donc à inventer pour concrétiser cette envie qui m’a fait sauter le pas. Les enseignements des petites cases sont un peu apaisants, certes, mais le virage, bien que préparé, reste extrêmement brutal : même si je quitte mon entreprise dans des conditions matérielles qui me permettent de me reconvertir de façon sereine, être sans plan n’est pas du tout ma façon de faire jusqu’à présent. Pourtant, étrangement, pas d’angoisse. Tout du moins pas d’angoisse consciente. Tout juste un sommeil un peu perturbé. Mais pas d’angoisse. Au contraire même, en y songeant aujourd’hui, je me relie à une espèce de chaleur présente ce jour là. Quelque chose d’assez ténu, mais bien présent. Une source d’énergie vacillante qui s’est allumée ce jour là. Je crois qu’elle ne s’est pas éteinte depuis. Je réalise que j’avais cette allumette avec moi depuis près de dix ans et qu’enfin, en ce 1er avril 2017, je l’ai grattée et ai fait naître la flamme. Car, il y a 10 ans, je succombais à l’appel de la nature.

lire l’introduction